In Canadian Politics, Economy

[Cet article a été initialement publié par Pivot.Québec le 7 janvier 2022.]

Le 17 décembre 2021, le gouvernement Trudeau a annoncé en fanfare son intention d’instaurer un salaire minimum fédéral de 15 $. Ce salaire est entré en vigueur le 29 décembre 2021. Chaque 1er avril, à compter de cette année, le nouveau salaire minimum fédéral sera ajusté en fonction de l’indice des prix à la consommation du Canada.

Bien qu’il s’agisse d’une évolution positive pour les travailleurs couverts par le salaire minimum fédéral, l’initiative laisse beaucoup à désirer.

Tout d’abord, il est important de comprendre la portée limitée du nouveau salaire minimum fédéral.

Plus précisément, le nouveau salaire minimum fédéral ne s’applique qu’aux secteurs public et privé sous réglementation fédérale. Le secteur privé sous réglementation fédérale comprend les compagnies aériennes et les aéroports, les banques, la Société canadienne des postes, les services de courrier, les services portuaires, les oléoducs et les gazoducs qui traversent des frontières internationales ou provinciales, la radiodiffusion et la télévision, les télécommunications et les chemins de fer.

Les nombreux secteurs auxquels le nouveau salaire minimum fédéral ne s’applique pas comprennent la majeure partie de l’industrie pétrolière et gazière, la construction, les restaurants, les hôtels, l’agriculture et le commerce du détail.

Ce facteur est important car, selon Statcan, en 2018, 59 % des travailleurs au salaire minimum travaillaient dans le commerce de détail, l’hôtellerie et la restauration. De nombreux autres travaillent dans l’agriculture et la construction. Par conséquent, bien que le gouvernement Trudeau se soit vanté du nombre de travailleurs qui bénéficieront directement du nouveau salaire minimum fédéral (« plus de 26 000 »), la grande majorité des travailleurs au salaire minimum du Canada n’en bénéficieront pas.

La portée limitée du salaire minimum fédéral est sans aucun doute liée à la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces en vertu de la constitution canadienne. Plus précisément, en vertu de l’article 92 de la Loi constitutionnelle, les provinces ont la compétence législative exclusive sur « la propriété et les droits civils dans la province ». Les tribunaux ont jugé que cette compétence législative inclut normalement les relations de travail.

Néanmoins, rien n’empêche le gouvernement fédéral de chercher à inciter les provinces à augmenter leur salaire minimum. Par exemple, le gouvernement fédéral pourrait offrir d’augmenter les transferts fédéraux aux provinces dont le salaire minimum est plus élevé.

De plus, un autre levier que le gouvernement pourrait utiliser est celui des contrats fédéraux. Il pourrait exiger que seules les entreprises qui paient le salaire minimum fédéral soient admissibles à ces contrats, qui peuvent être très lucratifs pour les employeurs auxquels ils sont accordés.

En fait, c’est exactement ce que l’administration Biden vient de faire aux États-Unis. Le 22 novembre 2021, le Département du travail a publié une règle finale mettant en œuvre un salaire minimum de 15 dollars de l’heure pour les travailleurs des entrepreneurs fédéraux qui travaillent sur ou en relation avec les contrats couverts. Un responsable de la Maison Blanche a souligné non seulement les avantages directs pour les employés des entrepreneurs fédéraux qui sont payés actuellement moins de 15 dollars de l’heure, mais a également fait valoir que la nouvelle exigence « aura des impacts au-delà des contrats fédéraux, car les concurrents sur les mêmes marchés du travail que les entrepreneurs fédéraux peuvent augmenter les salaires, aussi, car ils cherchent à rivaliser pour les travailleurs ».

Le Parlement du Canada pourrait également amender la Loi canadienne sur les sociétés par actions, qui est une loi fédérale, afin d’obliger toutes les sociétés constituées en vertu de cette loi à verser un salaire minimum de 15 $ l’heure. Bon nombre des grandes sociétés canadiennes ont été créées en vertu de cette loi.

Outre sa portée très limitée, le nouveau salaire minimum fédéral est tout simplement trop bas.

Le revenu dont une famille a réellement besoin pour pouvoir vivre et travailler dans sa communauté, ou « salaire de subsistance », est nettement supérieur à 15 $/heure dans les grandes villes canadiennes. En 2021, le salaire de subsistance était supérieur à 22 $ à Toronto et Halifax, à 20 $ à Vancouver et à 18 $ à Calgary, Edmonton et Ottawa.

Il n’y a tout simplement aucune raison légitime pour le gouvernement fédéral de permettre aux employeurs qui relèvent de sa compétence législative de payer moins que le salaire de subsistance. Les idéologues du « marché libre » prétendent souvent qu’un salaire minimum plus élevé réduit l’emploi, mais comme l’expliquel’économiste Jim Stanford, des preuves empiriques provenant de pays du monde entier montrent que l’impact d’un salaire minimum plus élevé sur l’emploi est négligeable, et même positif dans certaines conditions. En outre, l’emploi est déterminé par des facteurs bien plus importants et plus forts que la réglementation des salaires (tels que l’investissement, la croissance économique et la politique gouvernementale).

En 2021, les six grandes banques canadiennes, qui sont couvertes par le nouveau salaire minimum fédéral, ont collectivement réalisé des bénéfices records de 57 milliards de dollars. Ces banques comptent parmi les sociétés les plus rentables au monde. En 2020, leurs PDG ont reçu une rémunération moyenne d’environ 10 000 000 $ chacun. Sans aucun doute, les grandes banques canadiennes peuvent facilement se permettre de payer à tous leurs employés un salaire de subsistance, mais le gouvernement Trudeau semble plus intéressé à préserver leur gigantesque rentabilité qu’à s’assurer que tous leurs 300 000 employés, dont beaucoup vivent dans les villes les plus chères du Canada, puissent mener une vie décente.

 

 

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